Lecture: Rom 11,33-36
Evangile: Jean 14: 1-6
„Que les décisions de Dieu sont insondables! Comme ses voies sont impénétrables!“ (Rom 11,33).
De fait: jamais dans ma vie je n’aurais imaginé qu’un jour je me trouverais à la tête du Diocèse de Coire, en train de présider l’enterrement de mon Confrère Amédée! Nous étions en même temps évêques auxiliaires de Lausanne, Genève et Fribourg. Puis il est devenu mon évêque diocésain à Fribourg. Il a consacré Mgr Vitus Huonder évêque de Coire. Et maintenant je me trouve avec vous tous ici devant le cerceuil de Mgr Grab.
Les voies de Dieu sont impénétrables, même si nous regardons la vie de notre Confrère Amédée. Tant de stations, tant d’imprévus! Né à Zurich, citoyen de Schwyz, élevé à Genève, moine du monastère d’Einsiedeln, professeur au Collegio Papio d’Ascona au Tessin, évêque auxiliaire à Genève, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, évêque de Coire, évêque émérite à Roveredo.
Tant de voies, tant de stations. Et pourtant, Mgr Grab était un bénédictin dans son cœur. Dans sa Règle, au quatrième chapitre, St Benoît énumère quels sont les instruments des bonnes oeuvres. Il existe 74 instruments, y compris les 10 commandements et instructions tels que: se renoncer à soi-même pour suivre le Christ, soulager les pauvres, ne point rendre le mal pour le mal et bien d’autres encore. Enfin, de ces instruments utilisés pour faire le bien, il est dit: „L’atelier dans lequel nous effectuons diligemment tout ce travail est la réclusion du monastère, avec la permanence dans la communauté“ (v.78).
Amédée, le Bénédictin, s’est voué à cette permanence et à cette stabilité. Mais les voies du Seigneur sont tout simplement insondables! Et ainsi, ce sont souvent d’autres personnes qui ont pris des décisions sur sa vie et sur ses chemins. Par conséquent, dans son cas, nous devons définir le terme „stabilité dans le monastère“ de manière assez large. Son monastère était plus grand que la Suisse! C’était plutôt l’Europe. Et tous ceux qui ont bien connu Amédée savent qu’il est devenu très cosmopolite dans ce monastère très étendu. Comme il est gravé sur ce siège de l’évêque ici dans la cathédrale: «Proclamez l’Évangile!». Amédée voulait réaliser cela jusqu’aux limites géographiques et existentielles. Il connaissait le Seigneur Jésus. Mais il connaissait aussi le monde. Et il savait comment s’y mouvoir. Et ainsi, il ne méprisait pas les œuvres de la création, sous forme solide, liquide et volatile. Cela lui a donné la capacité d’être enraciné, de savoir comment cela se passe dans le monde. Et cela lui a permis de proclamer dans le monde l’Evangile de manière plus efficace.
Mgr Grab a beaucoup voyagé dans sa vie. Et pourtant, en moine voyageur, il est resté bénédictin. Il a vécu notamment ce que saint Benoît écrit dans le septième Chapitre de sa Règle: „L’humilité c’est la conscience qui embrasse la patience, au point d’obéir silencieusement, quelque durs et contrariants que soient les ordres reçus, et fût-on même victime de toutes sortes d’injustices; on supporte, sans se lasser ni reculer» (v. 35-36).
La stabilitas n’était pas possible localement pour lui. Mais spirituellement, il a vécu la stabilité, la permanence. Il n’a jamais oublié ni renié ses racines. Il n’a jamais perdu ses repères. Aujourd’hui nous le remercions pour le témoignage de toute sa vie, pour avoir pris en charge tant de missions agréables et moins agréables.
La mort inattendue de notre Confrère Amédée tombe dans le Diocèse de Coire à une heure spéciale. Et sa mort, comme la mort de tout être humain, devrait nous aider à redécouvrir l’essentiel: Jésus-Christ: le Chemin, la Vérité et la Vie, comme nous l’avons entendu dans l’Évangile d’aujourd’hui (Jn 14,6). L’écrivain Tertullien, au troisième siècle, se référant à ces titres de Jésus, a déclaré: „Le Christ s’est appelé la Vérité, et non pas la Coutume“. Je crois que ce mot a une signification spéciale aujourd’hui et en cette heure. Nous ne sommes qu’un dans le Christ, Vérité. Ce sont nos habitudes, notre vision souvent limitée ou unilatérale de l’Église, de la foi et du monde qui nous divisent. Ce n’est que dans le Christ, la Vérité telle que la proclame l’Église que nous sommes un. C’est pourquoi nous avons tous besoin d’une conversion de l’habitude à la vérité, pour devenir un, rester un ou le redevenir. Et tout cela requiert de la disponibilité à la volonté parfois impénétrable de Dieu, comme en témoigne la vie de notre Confrère Amédée. Je pense que ce dont il s’agit ici se trouve merveilleusement exprimé dans une prière de Charles de Foucault, qui a prié:
„Mon Père, je m’abandonne à Toi.
Fais de moi ce qu’il te plaira.
Quoi que tu fasses de moi, je te remercie.
Je suis prêt à tout, j’accepte tout ;
Pourvu que ta volonté se fasse en moi et en toutes tes créatures,
Je ne désire rien d’autre, mon Dieu.
Je remets mon âme entre tes mains,
Je te la donne, mon Dieu,
Avec tout l’amour de mon cœur,
Parce que je t’aime,
Et que ce m’est un besoin d’amour de me donner,
De me remettre entre tes mains sans retenue,
Avec une infinie confiance, car tu es mon Père».
Chers frères et soeurs, je suis convaincu que si nous tous, chacun de nous, pouvons prier de tout notre cœur cette prière, aucun obstacle insurmontable ne pourra nous séparer. En passant de l’habitude à la vérité, l’unité peut grandir. Elle n’est pas le fruit de compromis ou de contrats. L’unité n’est pas faite par ruse ou intrigue. Mais c’est le fruit de la conversion au Christ, Vérité. Parce que le Christ est notre Paix.
À la fin de l’avant-propos de sa Règle, saint Benoît dit: «Nous ne voulons donc jamais quitter l’école de ce Maître [Jésus-Christ], mais vivre au monastère jusqu’à la mort son enseignement et participer à la souffrance du Christ avec patience, pour que nous méritions nous aussi de participer à son Règne » (v. 50). Mgr Amédée Grab s’est rendu à l’école de son maître toute sa vie, même à l’extérieur des murs du monastère. Il n’a jamais quitté cette école et a persévéré. Il a persévéré jusqu’à la mort, finalement dans une modeste pièce de la Casa di Cura Immacolata à Roveredo. Il a participé aux souffrances du Christ avec patience. Dans son cercueil, il porte maintenant sur la poitrine la croix de notre Sauveur et dans ses mains le chapelet. C’est pourquoi il mérite maintenant de prendre part au Royaume du Christ. Et nous le recommandons donc à notre Dieu Tout-Puissant et Miséricordieux qui l’aime lui et nous tous d’un Amour infini.
Cher Amédée, merci pour ton service inlassable et le témoignage de ta disponibilité sur tous tes chemins! Repose en paix! Que ton monastère soit maintenant le ciel! Amen.